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Kiné pas d'ici, mais bien là...
23 octobre 2014

"Cervicalgies : massage et physiothérapie ; 3X / semaine."

 

« Tu verras, c’est une dame qui ne parle pas français. » Je suis nulle pour reconnaitre que ce soit les accents, comme les faciès. Alors quand je l’ai rencontrée, cette nouvelle patiente, impossible de soupçonner ses origines, plus précisément qu’asiatiques. Début de séance. « Pas français. 6 mois France ». Elle s’assoit, ouvre une pochette et me confie précieusement tous les papiers qu’elle a avec elle, avant de poser ses mains sur ses cuisses, et d’attendre, silencieuse, se tenant droite sur la chaise. Déchiffrer alors les ordonnances, les courriers, les compte-rendus de scanner, de radios,… « La communication étant difficile,… » ; « Il serait préférable que Mme . revienne en présence d’un traducteur. » ; « Il a été compliqué de définir l’anamnèse de votre patiente. » ; « N’ayant aucune connaissance de ses antécédents, je vous prie de bien vouloir vérifier le traitement proposé. » ; « Cervicalgies : massage et physiothérapie ; 3X / semaine. »

Je relève la tête, et la regarde. Elle me regarde, se lève, et commence à s’animer. Armées de quelques mots de français, de Yes/No/Okay, de nos mains, de mimes, de dessins et d’onomatopées, on a entamé une « discussion ». Elle à me raconter à sa façon son accident, son état, ses douleurs ; et moi à essayer de comprendre, à essayer de préciser les choses. Au final, plus qu’une cervicalgie, sans doute une névralgie-cervico brachiale. On commence les soins. Tout en continuant d’échanger quelques mots, quelques gestes,… d’échanger. J’ai cru comprendre qu’elle vient de Mongolie. Seule. Depuis 6 mois qu’elle est en France. Quelle est son histoire ? Pourquoi est-elle en France ? Pourquoi ici ? Qu’a-t-elle déjà enduré ? Qu’a-t-elle laissé là-bas ? Est-elle venue pour les soins ? A-t-elle eu son accident ici ? Pour elle, chaque nouvelle consultation doit être une épreuve pour se faire comprendre… A prononcer les mêmes mots, incomplets, incompréhensibles parfois, à mimer les mêmes gestes, à raconter la même histoire. Espérant que quelqu’un enfin la comprenne, que quelqu’un enfin puisse soulager ses douleurs… Je la revois encore se lever de sa chaise après m’avoir regardée, et commencer à mimer son histoire. Comme elle aurait vidé sa valise. Comme elle aurait joué une pièce de théâtre vraie, répétée et répétée maintes fois. Une pièce de théâtre où l’usage des mots aurait été proscrit, où le public aurait eu à saisir son message. Je la revois encore me jeter des coups d’œil pour être sûre que je l’écoute, pour être sûre qu’elle ne me perdait pas en route. Je la revois encore placer en tous ses efforts une note d’espérance. Je la revois encore sourire de tout son sourire quand je proposais des mots sur ses mimes, ne sachant même pas si elle les comprenait réellement.

 Je ne sais pas si j’ai tout compris. Je ne sais pas si un jour, je saurai si j’avais bien compris ce que je pensais comprendre. Mais je revois encore son sourire à la fin de la séance, et son geste de la main quand elle a levé le pouce en inclinant la tête vers moi…

Je regrette de ne pas avoir plus de temps à lui consacrer. Je regrette de n’être là encore que pour une semaine. Non pas que je me considère comme celle qui va la sauver, bien loin de là ! Et même, la collègue que je remplace a plus de connaissances et d’expérience que moi, elle la prendra sûrement mieux en charge. Mais je me dis qu’elle va devoir recommencer, encore une fois. Pour ma collègue. Tous ces efforts, pour s’exprimer, pour s’expliquer, pour se faire comprendre, pour donner du sens à sa pièce de théâtre. Encore une fois.

Je regrette de ne pas être là jusqu’au bout, je regrette de n’être qu’un maillon de plus à sa chaîne de professionnels de santé rencontrés, je regrette de ne pouvoir faire grand chose d’autre que faire partie du public…

 

 

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  • Chaussures chaussées, rien de fixé encore, commencer par des remplacements. Des portes à ouvrir, à entrouvrir, et des chemins à parcourir… Bonne route à chacun ! A., qui n'est pas d’ici mais bien là...
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